Une société est locataire de locaux à usage de « pub, salon de thé et musique d’ambiance » situés au sein d’un hôtel particulier parisien, dans lequel le propriétaire exerce lui-même une activité de location de salle et restauration. Ce dernier offre au locataire le renouvellement du bail à compter du 1er août 2014 moyennant un loyer annuel de 1 200 000 €. Le locataire conteste ce prix et un arrêt d’une cour d’appel du 29 janvier 2020 fixe le prix du bail renouvelé à 590 660 € par an, ce qui fait naître une créance de restitution au profit du locataire de 944 332 €.

Quelques semaines plus tard, l’épidémie de Covid-19 conduit à la fermeture des bars et des restaurants. Les deux parties se rapprochent pour négocier un report ou une suppression de leurs obligations respectives, mais aucun accord n’est trouvé. Le bailleur saisit alors le juge, lui demandant de fixer sa dette de restitution à 714 021 € après compensation avec les loyers dus par le locataire pour le 2e trimestre 2020 et de lui accorder des délais de paiement.

1. Après avoir rappelé que la compensation peut être ordonnée en justice entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles (C. civ. art. 1347-1 et 1348), caractéristiques que revêtaient bien la créance et la dette du bailleur, le tribunal judiciaire de Paris fait droit à la demande de compensation.

Dune part, les dispositions relatives à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire (Ord. 2020-306 du 25-3-2020 art. 4) interdisent l’exercice par le créancier de certaines voies d’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 mais ne suspendent pas l’exigibilité du loyer dû par le locataire commercial, qui peut donc être payé par compensation.

D’autre part, les contrats doivent être exécutés de bonne foi (C. civ. art. 1104, ex-art. 1134), ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. En l’espèce, le bailleur n’avait pas exigé le paiement immédiat du loyer dans les conditions prévues au contrat (paiement trimestriel des loyers à échoir), mais il avait proposé un aménagement (paiement par mensualités des loyers échus et report de l’échéance d’avril 2020 à la réouverture des commerces), tandis que le locataire n’avait jamais formalisé de demande claire de remise totale ou partielle de sa dette ni sollicité d’aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée. Le bailleur avait donc exécuté de bonne foi ses obligations au regard des circonstances.

2. En revanche, le tribunal rejette la demande du propriétaire tendant à obtenir des délais de paiement :

  • – ce dernier avait perçu pendant plus de cinq ans un loyer supérieur à celui qu’il aurait dû percevoir, privant le locataire d’une partie de sa trésorerie ;
  • – il ne justifiait pas avoir sollicité un prêt bancaire en présentant l’ensemble de ses ressources et de son patrimoine ;
  • – il subissait les conséquences économiques de l’état d’urgence sanitaire dans les mêmes proportions que son locataire dont les besoins étaient donc équivalents.

A noter : Deux textes dérogatoires (Ord. 2020-306 du 25-3-2020 et Ord. 2020-316 du 25-3-2020) sont susceptibles de venir au secours du locataire commercial rencontrant des difficultés économiques du fait de l’épidémie de Covid-19. Mais si l’un et l’autre de ces textes neutralisent (temporairement pour l’un, définitivement pour l’autre) certaines des sanctions encourues par le locataire en cas de défaut de paiement des loyers pendant la crise sanitaire, et notamment la mise en œuvre des clauses résolutoires, ils n’ont aucune influence sur l’exigibilité des loyers, dont le bailleur peut poursuivre le recouvrement forcé (en ce sens, Rép. Houlier : AN 26-5-2020 p. 3687 n° 28385). Rien dans ces textes ne s’oppose donc à ce que le paiement de ces loyers ait lieu par compensation avec la créance réciproque du locataire, si les conditions de la compensation sont par ailleurs réunies, comme en l’espèce. 

Les praticiens suggèrent que le droit commun des contrats pourrait fournir des outils permettant de remettre en cause l’obligation au paiement des loyers :  notamment la force majeure, l’imprévision, l’exception d’inexécution ou la destruction de la chose louée, à laquelle serait assimilée la privation de jouissance résultant de la fermeture des commerces (voir G. Allard-Kohn et T. Brault, « Bail commercial et impayés locatifs pendant la crise sanitaire : les moyens d’action du bailleur » : BRDA 12/20 inf. 28 ; P. Julien, « Crise du coronavirus : faut-il payer les loyers commerciaux du 2e trimestre 2020 ? » : BRDA 7/20 inf. 28).  Aucun de ces arguments ne semble avoir été discuté ici. Mais la démarche adoptée par le tribunal était clairement en ce sens, puisqu’il a vérifié, au regard de l’exigence d’exécution de bonne foi des conventions, si les circonstances n’avaient pas rendu nécessaire une adaptation des modalités d’exécution des obligations respectives des parties, susceptible d’influencer leur exigibilité.

Maya VANDEVELDE

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TJ Paris du 10-7-2020 n° 20/04516