La Quotidienne : L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique pose un principe de responsabilité allégée pour les prestataires de service de communication au public en ligne, qu’ils soient fournisseurs d’accès ou hébergeurs. Est-ce à dire que les réseaux sociaux, qui ont un statut d’hébergeurs, ne peuvent jamais voir leur responsabilité engagée en raison d’un contenu publié ?

Me Basile Ader : Oui, c’est un système de responsabilité en deux temps, pour être recevable à se plaindre contre l’hébergeur. Sont qualifiés « d’hébergeurs » les sociétés d’hébergement proprement dites, mais aussi les moteurs de recherches pour les messages qu’ils indexent, et les services de réseaux sociaux, s’ils n’ont pas « agi promptement » pour modifier ou supprimer un message dont on leur a notifié le caractère « illicite ». Ces derniers peuvent donc, et c’est souvent en pratique, voir leur responsabilité engagée pour avoir fait le choix de laisser ledit message accessible. Ils sont alors poursuivis aux côtés, ou non, de l’auteur du message.

La Quotidienne : Quelles sont actuellement les obligations de modération des réseaux sociaux ?

Me Basile Ader : Actuellement, les réseaux sociaux n’ont qu’une obligation de modération après réception d’une « notification de contenu illicite » dans les formes de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

La Quotidienne : Eric Dupond-Moretti a déclaré souhaiter « Encadrer les réseaux sociaux lorsqu’ils permettent l’expression de la haine. Mais par la loi, dans le respect de l’Etat de droit ». Selon vous, faudrait-il réformer le droit applicable aux réseaux sociaux ? Un nouveau texte est-il nécessaire ?

Me Basile Ader : Tout est déjà dans la loi, les incriminations et les moyens de déférer devant des tribunaux, y compris devant le juge des référés en cas d’urgence. Il suffit de se donner les moyens de poursuivre en renforçant notamment les ressources du parquet qui s’en remet depuis trop longtemps en cette matière à l’action des associations.Tout juste pourrait-on aménager par exception aux règles de la loi de de 1881 en matière de délais de comparution, la possibilité pour le parquet d’engager exceptionnellement des poursuites en comparution immédiate en cas de flagrance pour les délits plus grave que sont les provocations directes ou indirectes aux crimes et délits.

La Quotidienne : Quid de certaines dispositions de la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet largement censurée par le Conseil constitutionnel en juin 2020 ? Pensez-vous qu’il soit dommage que certains articles tel que celui obligeant les réseaux sociaux à supprimer, dans les vingt-quatre heures, sous peine d’amendes, les contenus haineux signalés, aient été censurés ? 

Me Basile Ader : Certaines dispositions de la loi Avia vont être reproposées au parlement à l’aulne des prochaines recommandations européennes, tous les états de l’UE planchant actuellement sur la question. Cette loi poursuivait un but légitime, mais, en risquant d’automatiser, dans les faits, la suppression des messages par les plateformes, elle inversait alors le processus libéral, selon lequel le principe c’est la liberté d’expression et l’exception la restriction lorsqu’est commis « un abus » de cette liberté, au sens de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, constaté par un juge. Mais il est certain que le chantier de la nécessaire coopération des plateformes, et sinon de leur responsabilisation, n’est pas achevé.

Propos recueillis par Angeline DOUDOUX

Me Basile ADER, avocat associé au sein du cabinet August Debouzy