1. Un site de rencontres allemand propose à ses utilisateurs une adhésion de base gratuite et une adhésion payante, dite « premium », leur permettant de prendre contact avec les autres adhérents premium et d’échanger des informations avec eux. En pratique, l’essentiel des échanges a lieu au début de la période d’adhésion premium : en moyenne, autour de 31 messages sont échangés au cours de la première semaine, 9 la deuxième semaine, 6 la troisième, etc. Chaque adhérent premium bénéficie, immédiatement après son inscription, de la communication automatique d’une sélection de propositions de rencontres, établie à partir d’un test de personnalité d’une durée d’environ 30 minutes, dont les résultats prennent la forme d’un « rapport d’évaluation de la personnalité » de 50 pages. Les adhérents « de base » (gratuit) peuvent acquérir ce rapport contre un paiement à titre de prestation partielle.

2. Un consommateur adhère à ce site pour une durée de 12 mois, moyennant un prix deux fois plus élevé que celui facturé à d’autres utilisateurs pour un contrat identique, et confirme à l’exploitant du site qu’il doit commencer à fournir la prestation prévue avant l’expiration du délai de rétractation. Quatre jours plus tard, ce consommateur exerce son droit de rétractation et le site de rencontres lui facture une indemnité d’un montant correspondant aux trois quarts du prix total.

Saisi d’une contestation portant sur ce montant, le juge allemand pose à la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles. 

Rétractation après un début d’exécution : comment calculer le prix dû par le consommateur ?

3. On sait que, si le consommateur souhaite que l’exécution d’une prestation de services commence avant la fin du délai de rétractation de quatorze jours, le professionnel doit recueillir sa demande expresse (Dir. 2011/83 art. 7, transposé en droit français sous C. consom. art. L 221-25). Le consommateur qui a exercé son droit de rétractation d’un contrat dont l’exécution a commencé, à sa demande expresse, avant la fin du délai de rétractation doit verser au professionnel un montant correspondant au service fourni jusqu’à la communication de sa décision de se rétracter ; ce montant est proportionné au prix total de la prestation convenu dans le contrat (Dir. art. 14 ; C. consom. art. L 221-25). 

Comment déterminer le montant proportionnel à payer par le consommateur, notamment lorsque les prestations partielles ne sont pas toutes fournies avec la même rapidité ? Faut-il prendre en compte la circonstance que l’une des prestations a été fournie au consommateur dans son intégralité avant la rétractation ?

4. Pour la CJUE, saisie de ces questions par le juge allemand, c’est uniquement dans le cas où le contrat prévoit expressément qu’une ou plusieurs des prestations seront fournies intégralement dès le début de l’exécution du contrat, de manière distincte, à un prix devant être acquitté séparément, que le consommateur peut décider utilement s’il va demander que le professionnel commence à exécuter la prestation de services pendant le délai d’exercice du droit de rétractation. Ainsi, c’est seulement dans ce cas qu’il y a lieu de tenir compte du prix prévu pour une telle prestation dans le calcul du montant dû au professionnel. 

Dans le cas contraire, il faut tenir compte du prix convenu pour l’ensemble des prestations faisant l’objet du contrat et calculer le montant dû prorata temporis. 

Appréciation du caractère excessif du prix d’adhésion servant de base au calcul des sommes dues

5. Si le prix total servant de base au calcul du montant dû par le consommateur est excessif, ce montant est calculé sur la base de la valeur marchande de ce qui a été fourni (Dir. art. 14 ; C. consom. art. L 221-25).  

Comment déterminer le caractère excessif du prix ? Notamment, un prix qui est le double de celui facturé à d’autres utilisateurs pour la même prestation est-il excessif au sens de ces dispositions même s’il n’atteint pas la valeur marchande du service fourni ou ne la dépasse que de peu ? 

6. Il résulte de la directive 2011/83 que la valeur marchande devrait se définir en comparant le prix d’un service équivalent fourni par d’autres professionnels au moment de la conclusion du contrat (Dir. considérant 50).

Interprétant la notion à la lumière de ce considérant, la Cour de justice estime que toutes les circonstances en rapport avec cette valeur marchande sont pertinentes aux fins d’apprécier le caractère éventuellement excessif du prix total, à savoir la comparaison tant avec le prix demandé par le professionnel concerné à d’autres consommateurs dans les mêmes conditions qu’avec le prix d’un service équivalent fourni par d’autres professionnels. 

Exception au droit de rétractation en cas de fourniture de contenu numérique  

7. Le juge allemand demandait si la transmission du rapport d’évaluation de la personnalité ne devait pas être qualifiée de prestation partielle distincte de fourniture d’un contenu numérique non fourni sur un support matériel.

Une telle qualification serait de nature à priver le consommateur de son droit de rétractation (Dir. 2011/83 art. 16 ; C. consom. art. L 221-28) et aurait ainsi une incidence sur le montant à payer au professionnel par le consommateur. 

La CJUE rejette une telle qualification.

En ce qu’elle limite les droits octroyés à des fins de protection des consommateurs, l’exception au droit de rétractation visant le contenu numérique non fourni sur un support matériel doit être interprétée strictement. 

Le contenu numérique est défini comme « des données produites et fournies sous forme numérique »  (Dir. art. 2), le considérant 19 de la directive précisant que, « par contenu numérique, on entend les données qui sont produites et fournies sous une forme numérique, comme les programmes informatiques, les applications, les jeux, la musique, les vidéos ou les textes, que l’accès à ces données ait lieu au moyen du téléchargement ou du streaming, depuis un support matériel ou par tout autre moyen ». 

En l’espèce, le service fourni par le site de rencontres permettant au consommateur de créer, de traiter ou de stocker des données sous forme numérique, ou d’y accéder, et permettant le partage ou toute autre interaction avec des données sous forme numérique qui sont téléversées ou créées par le consommateur ou par d’autres utilisateurs de ce service, ne saurait être considéré, en tant que tel, comme la fourniture d’un contenu numérique au sens des dispositions sur le droit de rétractation. 

Par suite, l’établissement par le site du rapport d’évaluation sur la base d’un test de personnalité réalisé par ce site ne constitue pas la fourniture d’un tel contenu numérique.   

Maya VANDEVELDE

Pour en savoir plus : voir Mémento Concurrence Consommation nos 15775 à 15777


CJUE 8-10-2020 aff. 641/19