Une femme consent à son époux séparé de corps un droit d’usage et d’habitation viager à titre gratuit strictement personnel sur le grenier et le jardin de la maison qu’elle occupe, à charge pour lui d’entretenir et de réparer le logement. Neuf ans plus tard, elle invoque l’aggravation de leur mésentente et demande la conversion du droit d’usage et d’habitation en rente viagère annuelle. Sa demande est rejetée en appel. La Cour de cassation confirme :

  • – le droit d’usage et d’habitation peut cesser par l’abus que son titulaire fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien (C. civ. art. 618, al. 1 et 625 combinés) ;
  • – les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l’extinction absolue du droit de jouissance et d’habitation, ou n’ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l’immeuble qui en est grevé que sous la charge de payer annuellement au titulaire du droit une somme déterminée, jusqu’à l’instant où le droit aurait dû cesser (C. civ. art. 618, al. 3 et 625 combinés).

L’alinéa 3 de l’article 618 du Code civil ne fait que fixer les modalités et conséquences de l’extinction du droit d’usage et d’habitation, dont les causes sont définies à l’alinéa 1er et n’incluent pas la mésentente entre les parties.

Le titulaire du droit d’usage et d’habitation n’ayant, en l’espèce, pas commis d’abus dans la jouissance de son droit, la demande de conversion du droit d’usage et d’habitation en rente viagère ne peut pas être accueillie.

À noter : La Cour de cassation lie la possibilité de supprimer le droit d’usage et d’habitation ou de le convertir en rente viagère (C. civ. art. 618, al. 3) à l’existence d’un abus de jouissance (C. civ. art. 618, al. 1). Autrement dit, l’existence de circonstances graves non fautives n’autorise pas à aménager le droit réel.

Elle n’a pas toujours eu cette lecture, admettant une application de l’alinéa 3 indépendante de l’alinéa 1. Ainsi, les juges pouvaient convertir le droit d’usage et d’habitation en rente lorsque l’exercice du droit devenait impossible, sans qu’il soit possible d’en imputer la faute au propriétaire ou au titulaire du droit. Par exemple, la révocation du droit d’usage et d’habitation a été refusée mais sa conversion en rente viagère a été admise dans les cas suivants :

  • – abandon des lieux en raison d’une mésentente entre les parties. Pour la Cour de cassation, seul l’abus de droit et non l’abandon des lieux pouvait justifier l’extinction du droit ; les juges ont pu décider de la conversion en rente viagère dès lors que la dégradation des relations entre les parties s’opposait à l’exécution en nature du droit (Cass. 3e civ. 6-1-1981 n° 79-12.358 P) ;
  • – abandon des lieux pour entrer dans une maison de retraite médicalisée. Là encore, les Hauts magistrats ont relevé que c’est l’abus de jouissance et non l’abandon des lieux qui peut entraîner l’extinction du droit (Cass. 3e civ. 2-2-2011 n° 09-17.108 FS-PB).

La Cour de cassation ne semble plus admettre une telle lecture de l’article 618. Les juges disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour graduer la sanction d’un abus de jouissance. Mais encore faut-il, au préalable, constater l’existence d’un tel abus. La Cour de cassation rappelle ici que les causes de la perte du droit d’usage et d’habitation sont limitatives, dégradation du bien et défaut d’entretien entraînant le dépérissement du bien.

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Patrimoine n° 3050


Cass. 1e civ. 4-11-2020 n° 19-15.444 F-D