Des époux séparés de biens divorcent. L’ex-femme réclame à son ex-mari une créance au titre du financement par ses deniers personnels de la construction du logement familial. La cour d’appel accueille sa demande. Le contrat de mariage prévoit que chacun des époux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux. Selon les juges du fond, le caractère irréfragable de cette présomption dont se prévaut l’ex-mari n’interdit pas à l’épouse de prouver sa sur-contribution ; si celle-ci est démontrée, la clause est inefficace.

Cassation pour violation des articles 214 et 1537 du Code civil, aux termes desquels les époux contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives sauf convention matrimoniale contraire. En l’espèce, les juges du fond ont souverainement estimé irréfragable la présomption résultant de la clause du contrat de mariage. Dès lors, un des époux ne peut être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage, pas plus que l’excès de sa propre contribution.

À noter : L’arrêt alerte sur les conséquences de la clause usuelle de présomption de contribution aux charges du mariage insérée dans les contrats de séparation de biens et sur l’attention qu’il faut y apporter au moment de la rédiger. L’enjeu se porte essentiellement sur les dépenses d’acquisition ou de construction du logement familial, qui relèvent en principe de la contribution aux charges du mariage (jurisprudence constante, voir notamment Cass. 1e civ. 1-4-2015 n° 14-14.349 F-PB : BPAT 3/15 inf. 78 ; Cass. 1e civ. 11-4-2018 n° 17-17.457 F-D : Gaz. Pal. 3-7-2018 p. 58 note E. Mulon).

On sait que l’appréciation de la portée de la présomption précitée relève du pouvoir souverain des juges du fond. La Cour de cassation admet qu’ils la qualifient de simple ou d’irréfragable (pour des exemples récents, voir Cass. 1e civ. 11-4-2018 n° 17-17.457 F-D ; Cass. 1e civ. 5-12-2018 n° 18-10.488 F-D). Dans ce dernier cas, l’époux qui a financé à titre principal l’acquisition du logement familial se trouve interdit de rapporter la preuve de sa sur-contribution ou de la sous-contribution de son conjoint. Il ne peut alors réclamer aucune créance, comme le confirme l’arrêt rapporté.

Toutefois, pareille solution peut être évitée, les futurs époux disposant d’une grande liberté lors de la rédaction du contrat de séparation de biens. Ils peuvent conventionnellement qualifier la présomption de simple ou d’irréfragable, (pour des exemples de clauses, voir notamment S. David, Comment anticiper (éviter) le contentieux liquidatif des époux séparés de biens : SNH 29/18 inf. 9). Il est aussi possible de définir le champ d’application de la présomption et, par exemple d’en exclure les investissements immobiliers. Dans ce cas, la preuve d’un financement au-delà de sa quote-part de droits indivis justifie une créance, charge à l’époux qui s’y oppose d’établir que son conjoint n’a pas contribué aux charges du mariage par une autre participation.

Enfin, le contrat de mariage peut préciser les dépenses qui relèvent de la contribution aux charges du mariage. A tout le moins il peut en élargir le champ d’application. La Cour de cassation a certes jugé que l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels pour financer la part indivise du conjoint ne participe pas de la contribution aux charges du mariage et justifie donc une créance entre époux. Mais elle a aussi admis la possibilité d’une convention matrimoniale contraire (Cass. 1e civ. 3-10-2019 n° 18-20.828 FS-PBI : SNH 34/19 inf. 1  obs. A. Chamoulaud-Trapiers ; J. Casey, Logement et contribution aux charges du mariage : les apports personnels sont toujours remboursables : AJ Famille 2019 p. 604). Les époux peuvent-ils  au contraire exclure de la contribution aux charges toute dépense d’investissement dans un bien immobilier ? Sur ce point, la doctrine est divisée (G. Champenois, N. Couzigou-Suhas, « Contrat de mariage, charges du mariage et acquisitions indivises », Defrénois 2015 p. 367 ; contra N. Peterka, Mémento Droit de la famille 2020-21 n° 1981).

Florence GALL-KIESMANN 

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la famille n° 1980

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Cass. 1e civ. 18-11-2020 n° 19-15.353 FS-PB