Une enfant née en 1971 assigne en avril 2016 le procureur de la République afin de faire constater sa possession d’état d’enfant à l’égard de M. X, décédé accidentellement le jour de sa naissance. La cour d’appel déclare irrecevable sa demande car prescrite (C. civ. art. 321). La requérante conteste. Elle soutient notamment que l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale (Conv. EDH art. 8).

La Cour de cassation confirme la prescription de l’action. Elle rappelle d’abord que le délai pour agir, qui était de 30 ans, a été, depuis la réforme de 2005, ramené à 10 ans (C. civ. art. 321 et 330 issus de l’ord. 2005-759 du 4-7-2005) ; ce délai étant suspendu en faveur de l’enfant durant sa minorité (C. civ. art. 321). Lorsque la prescription est raccourcie, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (C. civ. art. 2222, al. 2). En l’espèce, le délai de 10 ans a donc couru à compter du 1er juillet 2006 et a expiré le 1er juillet 2016. Le délai de prescription n’a pas été interrompu lorsque la requérante a assigné le procureur de la République le 15 avril 2016, l’action devant être exercée contre le parent prétendu ou ses héritiers. Ce n’est qu’à défaut d’héritiers, ou si ceux-ci ont renoncé à la succession, qu’elle est dirigée contre l’État (C. civ. art. 328, al. 3). Or, à cette date, il existait des héritiers de M. X qui n’avaient pas renoncé à la succession.

Les Hauts Magistrats vérifient ensuite que cette prescription ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante (Conv. EDH art. 8). Le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée. L’impossibilité de faire reconnaître son lien de filiation constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit. Mais cette ingérence est prévue par la loi et donc accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets. Elle poursuit un but légitime en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique. Les délais de prescription des actions en établissement de la filiation paternelle, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent par ailleurs des mesures nécessaires et adéquates pour parvenir au but poursuivi.
Cependant, les juges du fond doivent apprécier concrètement si la mise en œuvre des délais légaux de prescription porte une atteinte disproportionnée à la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque la requérante :
– a mal dirigé ses demandes lorsqu’elle a assigné le procureur de la République ; cette assignation n’ayant pas interrompu, à l’égard des héritiers de M. X, le délai de prescription ;
– a disposé d’un délai de 45 années, dont 27 à compter de sa majorité, pour exercer l’action en établissement de sa filiation paternelle.

À noter : Depuis déjà plusieurs années, la Cour de cassation évalue les règles en matière de filiation au regard du droit au respect de la vie privée garanti par la convention européenne des droits de l’Homme. Ont ainsi été validées :

  • – la prescription de 5 ans de l’action en contestation de filiation lorsque la possession d’état est conforme au titre (Cass. 1e civ. 6-7-2016 no 15-19.853 FS-PBI : BPAT 5/16 inf. 186) ;
  • – la prescription de 10 ans de l’action en contestation de filiation en l’absence de possession d’état (Cass. 1e civ. 7-11-2018 no 17-25.938 F-PBI : BPAT 1/19 inf. 13) ;
  • – l’impossibilité, en vertu du principe de la chronologie des filiations, de revendiquer une seconde filiation lorsqu’une première a été établie (Cass. 1e civ. 5-10-2016 no 15-25.507 FS-PBI : BPAT 6/16 inf. 215) ;
  • – la prescription de 10 ans applicable aux actions en matière de filiation, sauf autre délai spécifiquement prévu (Cass. 1e civ. 9-11-2016 no 15-25.068 FS-PBI : BPAT 6/16 inf. 215).

Dans l’espèce commentée, suivant la même méthode désormais rodée, les Hauts Magistrats s’assurent d’abord « in abstracto » de la validité de l’ingérence en vérifiant qu’elle est prévue par la loi et qu’elle poursuit un but légitime. En outre, ils prennent soin d’ajouter, dans une formulation générale, que les prescriptions qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité constituent des mesures nécessaires et adéquates pour parvenir au but poursuivi.

Seules les circonstances particulières d’une situation personnelle pourraient les conduire à l’écarter. Au cas d’espèce, pour justifier l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée de la requérante, les Hauts Magistrats notent que la requérante a fait preuve d’une particulière négligence : elle a, d’une part, mal dirigé ses demandes alors qu’elle pouvait encore interrompre le délai de prescription et elle a, d’autre part, disposé d’un délai suffisamment long pour agir.

Olivier DESUMEUR

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la famille n° 28040

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Cass. 1e civ. 2-12-2020 no 19-20.279 F-P