Une personne décède en laissant pour lui succéder ses parents et ses demi-frères et sœurs. La mère du défunt assigne le père afin que soit fixée sa créance contre la succession au titre de l’assistance qu’elle a apportée à son fils avant son décès.

La cour d’appel déclare la demande irrecevable. Selon elle, la mère fait valoir une créance sur la succession, alors qu’elle est elle-même héritière. C’est donc une contestation relative au règlement de la succession qui suppose, à défaut d’accord amiable entre les héritiers, un partage judiciaire.

La première chambre civile casse la décision. En effet, la demande d’un héritier pour voir fixée sa créance à l’égard de la succession, qui ne tend ni à la liquidation de l’indivision successorale ni à l’allotissement de cet héritier, ne constitue pas une opération de partage et n’est, dès lors, pas subordonnée à l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession.

À noter : C’est la deuxième fois que cette affaire vient devant la Cour de cassation et c’est la deuxième fois que celle-ci casse la décision de la cour d’appel. La mésentente des parents sur le partage des indemnités d’assurances perçues par la succession en raison du décès du fils, victime d’un accident de la circulation, constitue le fil de l’histoire.

L’intérêt de cet arrêt est double.

En premier lieu, la mère réclame la fixation d’une créance sur la succession pour l’aide et l’assistance dépassant l’obligation alimentaire d’une mère envers son fils. En pratique, ces demandes concernent souvent des situations d’enfants qui s’occupent de parents âgés. Sur ce point, la jurisprudence admet, sur le fondement de l’enrichissement injustifié, la possibilité d’indemniser le dévouement exceptionnel d’un enfant envers eux jusqu’à leurs décès (Cass. 1e civ. 12-7-1994 no 92-18.639 : Bull. civ. I no 250, D. 1995 p. 623 note M. Tchendjou, RTD civ. 1994 p. 843 obs. J. Hauser, RTD civ. 1995 p. 373 obs. J. Mestre, RTD civ. 1995 p. 407 obs. J. Patarin). L’octroi d’une indemnité suppose néanmoins que l’aide et l’assistance apportées excèdent les exigences de la piété filiale et que les prestations fournies aient réalisé à la fois un appauvrissement pour l’enfant et un enrichissement corrélatif des parents.

La demande d’un parent pour la prise en charge exceptionnelle d’un enfant est plus rare mais elle doit recevoir à juste titre la même réponse. Dans notre cas, rien n’est dit sur la situation du fils et les circonstances ayant conduit la mère à réclamer cette créance d’assistance. Pour que l’excès au-delà des exigences de l’obligation alimentaire soit constaté, la mère doit avoir fait preuve de véritables sacrifices comme l’abandon d’une carrière professionnelle, d’une abnégation exceptionnelle au profit de son fils. Il restera aussi à vérifier que celle qui a déployé cette activité ne l’a pas fait avec une intention libérale puisqu’elle constituerait, non plus la cause, depuis l’abandon de cette notion par l’ordonnance de 2016, mais la justification de l’enrichissement du de cujus, des économies par lui réalisées.

En second lieu, la première chambre civile estime que la demande de fixation de cette créance d’assistance ne s’analyse pas en une contestation relative au règlement de la succession qui supposerait, à défaut d’accord amiable entre les héritiers, qu’un partage judiciaire ait été ordonné à l’encontre de tous les cohéritiers. La cour d’appel en avait décidé autrement. Or la Cour de cassation considère, au visa de l’article 873 du Code civil et de l’article 1220 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ord. 2016-131 du 10-2-2016), que chaque héritier est personnellement tenu des dettes de la succession pour la part successorale dont il est saisi. Il en résulte qu’est recevable l’action engagée par un héritier à l’encontre d’un seul de ses cohéritiers afin que soit fixée sa créance à l’encontre de la succession, la décision rendue sur celle-ci étant inopposable aux autres indivisaires à défaut de mise en cause de ces derniers. Par conséquent, la mère pouvait assigner uniquement le père à cette fin. La raison en est simple : la mère agissait non comme héritière mais comme créancière du défunt et son action n’entrait pas dans les opérations permettant d’aboutir au partage.

Il est vrai que cette étape est le résultat d’un enchaînement souvent relativement long d’opérations multiples. La loi et la jurisprudence ont même une approche extensive puisque sont rattachées au partage des opérations préalables ou concomitantes à la division de la masse successorale, qui ne sont pas indissociables, comme le rapport des libéralités. La jurisprudence en tire par ailleurs des conséquences procédurales en déclarant irrecevables des actions en justice se rapportant à de telles opérations lorsqu’elles n’ont pas été précédées d’une assignation en partage judiciaire (en ce sens, Cass. 1e civ. 1-4-2015 no 14-15.184 F-D, concernant le rapport à la succession du montant de la prime versée au titre d’un contrat d’assurance-vie).

Cependant, cette étape plus ou moins étendue n’intègre pas la demande de l’héritier titulaire d’une créance contre le défunt avant son décès. Celui-ci peut demander judiciairement sa fixation indépendamment d’une demande de partage judiciaire. D’ailleurs, la complexité de la détermination du seuil au-delà duquel les prestations fournies par la mère à son fils peuvent donner lieu à indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié n’est pas rattachable au partage et mérite à elle seule une action judiciaire à l’encontre du père.

Gulsen YILDIRIM, maître de conférences HDR à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, directrice exécutive du Creop (EA 4332) et responsable du master 2 Droit du patrimoine et de la gestion des conflits familiaux de la faculté

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Successions Libéralitéss 59615 et 60200 


Cass. 1e civ. 16-12-2020 no 19-16.295 F-P