Un couple de bailleurs transmet l’ensemble de ses terres viticoles, affermées, via plusieurs donations avec charge consenties à des tiers. Les preneurs, invoquant la fraude à leur droit de préemption, assignent donateurs et donataires en annulation des libéralités et en paiement de dommages-intérêts.

La cour d’appel accueille leurs demandes, excluant l’existence de toute intention libérale des propriétaires à l’égard de « personnes inconnues » et ce bien que les bailleurs n’aient pas d’héritiers. Les actes de donation procèdent d’une manœuvre frauduleuse destinée à contourner le droit de préemption des fermiers, compte tenu des relations dégradées avec leurs bailleurs. La cour d’appel relève que ces derniers avaient vainement tenté de résilier le contrat de bail. Par ailleurs, leur animosité à l’encontre des preneurs était avérée par de nombreuses attestations de vendangeurs relatant la présence hostile de la propriétaire dans les vignes lors de la vendange 2011, allant jusqu’à qualifier l’un des preneurs de « pourri ». Enfin, dans une lettre, le mari bailleur déclarait confier ses vignes à un vigneron du village, ne souhaitant pas les mettre « dans les mains de n’importe qui ».

Confirmation de la Cour de cassation par 8 fois.

À noter : La priorité d’acquérir accordée aux fermiers connaît un champ d’application limité aux acquisitions à titre onéreux (C. rur. art. L 412-1). Aussi, à propos des huit donations litigieuses consenties à de parfaits inconnus, fallait-il déterminer si ces actes constituaient de véritables libéralités ou des manœuvres pour faire obstacle au droit de préemption des preneurs en place. Il s’agissait donc d’éprouver la réunion des deux éléments nécessaires à l’existence d’une donation.

Le premier élément, matériel, c’est-à-dire un transfert patrimonial du donateur au profit du donataire, fut discuté devant les juges car les transmissions contestées étaient faites avec charge. Toutefois, celle-ci n’excédant pas l’émolument, il était impossible de requalifier les libéralités d’actes à titre onéreux.

Le second élément est moral, à savoir l’intention libérale du donateur à l’égard du donataire. La loi n’en donne pas de définition exacte. Pour l’apprécier, les juges du fond en ont ici retenu une conception concrète, affective, s’attachant aux mobiles des bailleurs : le contournement des droits de leurs fermiers (sur les deux conceptions de l’intention libérale, leurs applications par la jurisprudence et une critique de la conception concrète de l’intention libérale, voir M. Grimaldi : Droit civil, Libéralités, Partages d’ascendants, Litec 2000 n°s 1006 s.). S’agissant d’une appréciation au cas par cas, il n’est pas toujours facile d’en appréhender les lignes directrices. Ainsi, dans un cas où des propriétaires avaient donné leur parcelle à un tiers alors qu’ils l’avaient d’abord mise en vente puis retirée de la vente suite à la préemption par la Safer, les juges ont admis l’existence de l’intention libérale ; ils ont validé la donation bien que la libéralité ait pour effet secondaire d’interdire à la Safer de préempter (Cass. 3e civ. 9-6-2016 no 15-17.562 F-D : AJDI 2016 p. 699, étant précisé qu’en l’état du droit en vigueur alors, toutes les mutations à titre gratuit entre vifs échappaient au droit de préemption de la Safer).

Pour être complet, on notera que le débat sur le caractère frauduleux d’une donation réalisée au profit d’un tiers dans le but de faire échec au droit de préemption du preneur rural reste d’actualité tandis qu’il n’a plus lieu d’être pour les Safer. En effet, depuis le 8 août 2015, celles-ci sont autorisées à faire valoir leur droit de priorité à l’occasion des mutations à titre gratuit entre vifs hors cadre familial ( C. rur. art. L 143-16 créé par la loi 2015-990 du 6-8-2015).

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Successions Libéralités n°s 100 et 4010

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Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.332 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no20-15.334 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.335 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.336 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.337 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.339 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.340 F-D – Cass. 3e civ. 15-4-2021 no 20-15.342 F-D