Fumée blanche ! Le 13 juillet, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le Plan national de relance et de résilience (PNRR) français, qui va permettre à notre pays de recevoir 40 Md€ de de financements européens dans le cadre de la Facilité de relance et de résilience, financée par l’emprunt commun « NextGenerationEU ».

Pour les mordus, je recommande vivement les 815 pages du PNRR français, qui décrit par le menu comment les financements européens vont contribuer à élever, numériser et verdir la croissance française. Après avoir avalé le PNRR français, vous pourrez vous plonger dans les plans allemand, italien, espagnol, etc. À ce stade, 24 États membres ont déposé leur PNRR : tous sauf les Pays-Bas, la Bulgarie et Malte.

Première lecture

Il y a plusieurs manières de lire ces PNRR. La première, proposée notamment par Darvas et Tagliapietra (2021), est de comparer les volumes d’investissement, en particulier ceux qui relèvent des priorités européennes – verdissement de l’économie (minimum 37 % des investissements) et numérique (minimum 20 %). Utile d’un point de vue macroéconomique, cette première approche est moins simple qu’il n’y paraît, pour plusieurs raisons.

Premièrement, certains plans de relance nationaux – notamment en Allemagne, en France, en Belgique – sont financés en partie sur des ressources nationales qui s’ajoutent aux ressources européennes. D’autres, notamment l’Italie, la Grèce et la Roumanie, ont demandé des prêts européens en plus des subventions. L’impact macroéconomique des plans et leur répartition par priorité doivent s’apprécier au regard du total y compris les parts nationales (graphique 1).

Graphique 1

Note : Montants hors fonds du Cadre Financier Pluriannuel et REACT-UE ; pour les trois États membres n’ayant pas présenté leur PNRR, le montant retenu est celui qu’ils devraient recevoir au regard de la clé de répartition de la Facilité de relance et de résilience.

Deuxièmement, les différents plans de relance ne portent pas tous sur la même période. En Allemagne comme en France, les dépenses des plans de relance sont centrées sur les années 2021 à 2023 et préfinancées par les États : les fonds européens viendront en remboursement de ces dépenses, jusqu’en 2026. À l’inverse, l’Espagne et l’Italie devraient étaler leurs investissements jusqu’en 2026, du fait notamment du volet prêts (voir le cas de l’Italie sur le graphique 2). La Roumanie et la Slovaquie ont même annoncé des dépenses de relance jusqu’en 2030.

Graphique 2

Source : Programme de stabilité italien, avril 2021. La chronique est présentée ici au sens de la comptabilité nationale qui retient l’année d’engagement des dépenses ; les transferts européens correspondant à ces dépenses arrivent avec un décalage.

Troisièmement, la distinction entre mesures d’urgence (pendant la crise) et de relance (en sortie de crise) n’est pas toujours évidente. En France comme en Allemagne, les programmes de relance ont été conçus durant l’été 2020. Ils ont été déployés indépendamment des nouveaux épisodes de restrictions sanitaires et ont de facto soutenu les entreprises et les ménages durant ces périodes difficiles. Il est alors tentant d’additionner les deux types de mesure (graphique 3).

Graphique 3

Sources : PNRR et documents budgétaires nationaux, calculs DG Trésor.

Finalement, une approche macroéconomique globale doit aussi prendre en compte les stabilisateurs automatiques, qui eux aussi diffèrent selon les pays. On peut par exemple additionner les déficits supplémentaires des années 2020, 2021 et 2022 par rapport à 2019 (graphique 4), qui se traduisent mécaniquement en hausse de l’endettement public. Selon cette dernière métrique, le cumul des mesures de soutien et de relance atteint près de 20 % du PIB pour la France, contre 10 % dans le précédent graphique (mesures discrétionnaires seulement) et 4 % dans le graphique 1 (mesures discrétionnaires de relance seulement).

Graphique 4

Source : Ameco, calculs DG Trésor.

Toutefois, cette dernière représentation est encore insatisfaisante. Non seulement la variation cumulée de soldes publics est endogène à la sévérité de la crise, mais aussi et surtout, les PNRR se veulent des plans de transformation des économies sur le long terme. Les investissements programmés ne sont pas « simplement » des milliards d’euros injectés dans les économies, mais ce sont des interventions publiques ciblées pour relever le rythme de la croissance potentielle et la transformer, en lien avec le défi climatique. Ces investissements sont indissociables d’un programme de réformes structurelles. Il nous faut donc reprendre notre lecture depuis le début.

Seconde lecture

Le PNRR français se présente comme une succession de neuf « composantes » : rénovation énergétique, écologie-biodiversité, infrastructures-mobilités vertes, énergies-technologies vertes, financement des entreprises, etc. Pour chaque composante, le plan spécifie des « cibles » et des « jalons » – objectifs intermédiaires qui déclencheront les décaissements de la Commission européenne selon un calendrier précis. Ces cibles et jalons peuvent concerner des investissements ou bien des réformes. Par exemple, la composante « Sauvegarde de l’emploi, jeunes, handicap, formation professionnelle » comprend de nombreux investissements en formation professionnelle, accompagnement et aides à l’embauche, mais aussi des réformes, notamment celle de l’Assurance-chômage. Les cibles désignent les objectifs quantitatifs (par exemple 100 000 contrats de professionnalisation supplémentaires à l’horizon 2022), tandis que les jalons fournissent les objectifs qualitatifs (entrée en vigueur d’une partie de la réforme de l’assurance-chômage en 2021, le reste en 2022). Le PNRR français comprend plus de 150 cibles et jalons, dont 38 devront être atteints dès 2021 (graphique 5).

Graphique 5

Source : Commission européenne, Proposition de décision d’exécution du Conseil relative à l’approbation de l’évaluation du plan de relance et de résilience pour la France. Les cibles évaluées pour l’année N donnent lieu à un déboursement en année n+1 (sauf pour 2021 avec un versement forfaitaire correspondant à 13 % du montant total du plan). Le versement de 2022 correspond à l’atteinte des 38 cibles et jalons de l’année 2021. La Commission a retenu un total de 175 cibles et jalons.

Les réformes contenues dans le PNRR sont en lien étroit avec les investissements programmés, pour rendre ces investissements plus efficaces. Dans certains cas, elles participent indirectement à l’efficacité du plan de relance en améliorant les perspectives budgétaires à moyen terme. Enfin, comme pour les autres pays européens, les réformes doivent aussi répondre aux recommandations faites par l’Union européenne dans le cadre du Semestre européen. Le nombre de réformes est variable d’un pays à l’autre, mais il est en général plus important dans les pays pour lesquels les transferts à recevoir au titre du programme NGEU sont les plus importants en pourcentage du PIB, l’Italie affichant un record de 508 cibles et jalons (graphique 6).

Graphique 6

Source : PNRR des différents pays représentés, subventions uniquement.

Au terme de notre lecture, il apparaît clairement que les PNRR ne sont pas des plans de relance au sens keynésien du terme, mais plutôt des plans de transformation et d’efficacité des économies européennes. L’Union européenne joue gros dans cette aventure. En effet, il s’agit rien de moins que de la croissance potentielle des différents pays (et donc de leur capacité à supporter des dettes élevées sans risque de crise), mais aussi de leur capacité à réaliser une transition écologique qui nécessitera des adaptations de notre modèle de croissance. Les États membres n’ont pas le droit de décevoir leurs partenaires maintenant qu’ils se sont engagés sur la voie de l’endettement commun. D’où le système méticuleux d’engagements et de rapportage mis en place. Lire les PNRR, c’est aussi prendre conscience concrètement de ce qu’implique un endettement commun.

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Lire aussi :

>> Tous les billets d’Agnès Bénassy-Quéré, chef économiste de la DG Trésor.