Si le salariat demeure toujours, et de très loin, la forme principale d’organisation du travail, le nombre d’emplois sous statut d’indépendant a significativement augmenté en France ces deux dernières décennies, tirés notamment par la création du statut de micro-entrepreneur (mis en place dans l’esprit du législateur pour favoriser la création d’entreprises en France, en particulier pour des publics éloignés de l’emploi). Une évolution similaire s’observe dans deux autres pays de l’OCDE, les Pays-Bas et le Royaume-Uni : ils ont également mis en œuvre au début des années 2000 des politiques visant à développer les emplois indépendants. Mais, à part ces trois exceptions, la part de l’emploi indépendant demeure stable, voire diminue dans les autres pays avancés. Le salariat ne paraît donc pas menacé aujourd’hui par le développement de l’emploi indépendant.

Mais de nouvelles formes d’emplois peu qualifiés se sont développées, et font émerger des zones grises entre salariat et non-salariat. L’opposition entre salariat d’un côté, socle d’une protection sociale élevée au prix d’une « subordination juridique permanente », et indépendance de l’autre, offrant plus d’autonomie au prix de droits sociaux moins étendus, structure la construction de notre système de protection sociale. Ce contrat implicite est mis à mal par le développement du micro-entreprenariat, notamment via les plateformes collaboratives ; mais pas uniquement, avec des travailleurs à la fois peu autonomes économiquement et soumis à des formes de subordination, et dans le même temps faiblement protégés : absence de rémunération minimale, de protection en cas d’accident du travail, accès restreint à l’assurance chômage, etc..

Ce brouillage des frontières interroge la construction des droits sociaux des travailleurs indépendants peu qualifiés. De premières réponses ont été apportées. S’agissant des travailleurs des plateformes de mobilité, certains pays ont fait le choix de les requalifier en salariés (par exemple l’Espagne), d’autres (Royaume-Uni, Italie, etc.) avaient créé dans une catégorie intermédiaire ente les salariés et indépendants, avec des droits sociaux ad hoc. La France a fait le choix, en cohérence avec les ordonnances Travail de septembre 2017, de donner toutes ses chances au dialogue social pour construire des normes protectrices adaptées à ces activités. Plus généralement, l’assurance chômage a été ouverte aux indépendants mais de façon limitée.

D’un point de vue économique, le séminaire a d’abord dressé un panorama statistique des évolutions des différentes formes d’emploi indépendant. Il a cherché à documenter l’hétérogénéité des « indépendants » souvent vus comme un bloc monolithique, alors que les conditions d’activité (temps de travail, rémunération, pluralité ou unicité des clients/donneurs d’ordre) varient très fortement, ainsi que le changement des figures emblématiques de « l’indépendant » au cours du temps, pour mieux saisir la spécificité des enjeux d’aujourd’hui.

Le séminaire a ensuite éclairé les opportunités et les risques de ces évolutions, en matière de protection sociale pour les travailleurs indépendants peu qualifiés ; mais également de concurrence, entre les différentes formes d’emploi et entre les entreprises y recourant. Qui doit-on protéger davantage ? Qui doit prendre en charge le financement de cette protection additionnelle ?

D’un point de vue juridique, le séminaire a illustré les différences en termes de protection offertes en matière de droit du travail et de protection sociale entre ces différentes formes d’emplois. Il a également comparé les avantages et inconvénients des réponses construites dans les pays avancés. En prenant l’exemple des pays étrangers ayant progressé sur ce thème (Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Californie) et les réflexions en cours au niveau de l’Union Européenne, il a tenté de formuler des préconisations afin de réconcilier flexibilité et sécurité de l’emploi : faut-il privilégier le statu quo, un redéploiement de certaines des protections offertes par le salariat aux autres formes d’emploi ou encore la création d’un « statut unique de l’actif », avec des droits sociaux de base garantis à tous ?

Ces problématiques ont évoquées en interventions croisées en trois parties par:

Jacques Delpla – Directeur de la Fondation Astérion
Lara Muller – Directrice des études et analyses à l’Unédic
Sophie Robin-Olivier – Professeure de droit à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, spécialiste de droit comparé et de plateformes numériques

 

Le séminaire « Politiques de l’emploi – Interactions de l’économique et du juridique » est organisé conjointement par le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance et le Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. Son objectif est de permettre la confrontation objective des points de vue entre économistes et juristes, et plus largement entre les acteurs intéressés par la réflexion sur les politiques d’emploi, universitaires comme praticiens.

Il est présidé par :

Gilbert Cette – Professeur d’économie associé à la faculté de sciences économiques de l’université d’Aix-Marseille, Adjoint au directeur général des études et des relations internationales de la Banque de France
Jean-Emmanuel Ray – Professeur à l’Université Paris I – Sorbonne, Membre de la Mission Frouin “Réguler les plateformes numériques de travail” (2020)

 

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