Une femme rédige un testament olographe en faveur d’une infirmière libérale avant même que la maladie dont elle décédera quelques mois plus tard soit constatée.

Le frère de la défunte s’oppose à la délivrance du legs en invoquant l’incapacité de recevoir de l’infirmière.

Pour la cour d’appel, même si la testatrice était déjà malade au jour de la rédaction du testament, ce dernier a été rédigé avant que la maladie ait été diagnostiquée.

L’arrêt est cassé. En effet, l’incapacité de recevoir un legs est conditionnée à l’existence, au jour de la rédaction du testament, de la maladie dont est décédé le disposant, peu important la date de son diagnostic.

À noter : Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci (C. civ. art. 909). Cette incapacité de recevoir, bien connue des praticiens, permet d’éviter qu’une personne affaiblie par la maladie et se sachant condamnée réalise une libéralité à laquelle elle n’aurait pas consenti en d’autres circonstances.

Cette incapacité dépend essentiellement du moment où l’acte contesté a été réalisé par rapport à la maladie et à la fourniture de soins. L’époque à laquelle on doit se placer pour l’apprécier est celle de la libéralité. Mais la maladie doit-elle avoir été diagnostiquée au jour de la rédaction du testament ou de la donation ?

Dans l’affaire commentée, la testatrice avait passé un certain nombre d’examens qui avaient révélé un volumineux syndrome au niveau du sinus maxillaire sans en déterminer le caractère cancéreux. Ce sont des examens complémentaires réalisés quelques jours après qui ont permis de poser un diagnostic. C’est dans cet intervalle d’incertitude qu’est intervenue la rédaction du testament olographe en faveur de l’infirmière libérale. Par conséquent, la disposante ne connaissait pas la gravité de son état au moment de l’écriture de ses dernières volontés et les symptômes apparus dans cette période antérieure ne permettaient pas de le déceler. On pouvait donc considérer qu’elle n’était pas dans la situation d’une personne affaiblie tant physiquement que moralement par la maladie, situation qui aurait nécessité une protection.

Pour la Cour de cassation, la libéralité pouvait être remise en cause car selon elle, la date du diagnostic importe peu. Cette interprétation est conforme à la lettre du texte qui exige seulement que le testament ait été fait au cours de la maladie dont le disposant est décédé. Il n’impose pas qu’il soit contemporain des soins prodigués suite au diagnostic.

La solution retenue, même si elle est justifiée, suscite des interrogations. Certaines pathologies évolutives ne sont diagnostiquées qu’à un stade bien avancé. Est-ce à dire que toutes les libéralités consenties pendant la période considérée comme « suspecte » seront annulables (voir P.-A. Girard, Les interdits fondés sur une présomption de captation : Defrénois 30-8-2017 n° 127e2 p. 887) ? Rien n’est moins sûr. Dans notre affaire, à la date de la rédaction du testament, il existait des éléments médicaux douteux, même si le diagnostic n’était pas encore posé. D’ailleurs, quelques jours seulement séparaient les premiers examens de la découverte du diagnostic.

Pour écarter la nullité de la libéralité, les juges d’appel avaient aussi retenu l’argument des liens affectifs existant entre l’auteur du testament et l’infirmière libérale. Selon eux, la libéralité trouvait sa cause dans les liens anciens et libres de toute emprise, entretenus par la testatrice avec celle qui lui apportait son soutien et sa présence après le décès de son époux. Or la présomption de captation prévue à l’article 909 est qualifiée d’irréfragable et la jurisprudence ancienne rendue en la matière exclut l’affection du patient comme cause déterminante de la libéralité (en ce sens D. Autem, obs. sous Cass. 1e civ. 15-1-2014 n° 12-22.950 FS-PB : Defrénois 30-9-2014 n° 117m2 p. 982).

Gulsen YILDIRIM, Maître de conférences HDR et responsable du master 2 mention Droit du patrimoine à la Faculté de droit de Limoges, directrice exécutive du Creop

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Successions Libéralités n° 940

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Cass. 1e civ. 16-9-2020 n° 19-15.818 FS-PB