Le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie désigne sa concubine en qualité de bénéficiaire. Il est placé sous tutelle cinq ans plus tard et son fils est désigné tuteur. À la demande de ce dernier, le juge des tutelles autorise le changement de la clause bénéficiaire au profit des enfants de l’intéressé. La femme, entre-temps séparée de son concubin, forme une tierce opposition. Faute d’avoir la qualité de créancier, son recours est jugé irrecevable. L’ex-concubine fait alors appel des deux ordonnances : celle autorisant le changement de la clause bénéficiaire et celle prononçant l’irrecevabilité de la tierce opposition. La cour d’appel déclare l’appel recevable et revient sur l’autorisation du changement de la clause bénéficiaire. Selon elle, l’application du Code de procédure civile revient, au cas d’espèce, à priver la requérante de tout recours contre une décision portant gravement atteinte à ses intérêts, ce qui contrevient au droit à être entendu par un tribunal équitablement (Conv. EDH art. 6, §1). Censure de la Cour de cassation, qui déclare irrecevable l’appel formé par l’ex-concubine. Elle rappelle le principe constitutionnel susvisé et les conditions d’exercice du droit d’appel contre les décisions du juge des tutelles : ce droit n’est ouvert qu’à certaines catégories de personnes qui ont vocation à veiller à la sauvegarde des intérêts du majeur, notamment, son concubin, à condition que la vie commune n’ait pas cessé entre eux, et les personnes entretenant avec le majeur des liens étroits et stables (CPC art. 1239 et C. civ. art. 430 combinés).

La Haute Juridiction précise ensuite que ces dispositions poursuivent les buts légitimes de protection des majeurs vulnérables et d’efficacité des mesures. En outre, elles ménagent une proportion raisonnable entre la restriction du droit d’accès au juge et le but légitime visé, dès lors que les tiers à la mesure de protection disposent des voies de droit commun pour faire valoir leurs intérêts personnels. En l’espèce, relève-t-elle, le concubinage avait cessé et l’ex-concubine n’entretenait pas de liens étroits et stables avec l’intéressé, de sorte que l’absence de droit d’appel en résultant ne portait pas atteinte à son droit d’accès au juge.

À noter : Cet arrêt illustre le fait que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et peut être confronté à un autre impératif, en l’espèce celui de la protection des majeurs vulnérables. Dans ce domaine, seuls peuvent faire appel des décisions du juge des tutelles le procureur de la République, la personne qu’il y a lieu de protéger, son conjoint, son partenaire de Pacs ou concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ses parents ou alliés, les personnes entretenant avec le majeur des liens étroits et stables et la personne qui exerce la mesure de protection juridique (C. civ. art. 430 sur renvoi de CPC art. 1239). La Cour de cassation juge ces restrictions proportionnées au but recherché de protection du majeur et donc compatibles avec le droit d’accès à un tribunal. La proportion se traduit ici par le fait que l’appel n’était pas complètement exclu pour la requérante ; même si elle ne pouvait plus agir en qualité de concubine du fait de la séparation, elle aurait pu agir en qualité de proche si elle avait continué d’entretenir avec le majeur des liens étroits et stables. En outre, ces dispositions n’interdisent pas aux tiers à la mesure de protection de défendre leurs intérêts par les voies de droit commun. Ainsi, ils peuvent exercer une tierce opposition contre les autorisations du juge des tutelles en cas de fraude à leurs droits, à condition d’être créanciers de la personne protégée (C. civ. art. 499, al. 3 ). En l’espèce, l’ex-concubine ne l’était pas, le bénéficiaire désigné n’ayant pas la qualité de créancier du souscripteur dans le cadre de la stipulation pour autrui sur laquelle repose l’assurance-vie. Tout au plus pouvait-on s’interroger sur sa qualité de créancière de l’assureur, qui n’était pas caractérisée ici. En effet, la requérante n’avait aucun droit sur le capital décès puisque le contrat n’était pas dénoué et qu’elle ne semblait pas en avoir accepté le bénéfice avant le changement de la clause.

Rémy FOSSET

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la famille n° 53015

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Cass. 1e civ. 27-1-2021 no 19-22.508 FS-PI